On demandait à Picasso ce qu'était pour lui une journée idéale de peintre, il répondait, dit-on : la messe le matin, les toros l'après-midi, le bordel le soir. Voilà bien qui tempère, une fois encore, toute l'estime que je porte à Picasso-homme, oui, vous avez bien lu, tempère. Je ne l'aurais pas supporté une demi-heure durant à côté de moi.
J'évoque cette anecdote alors que je tourne en rond trois cent soixante-cinq jours par an dans un atelier dont il ne sort plus rien, où n'entre personne ou presque en dehors de moi-même et de Melchior, depuis dix ans. Alors que, régulièrement, je rumine cet état de fait sans parvenir à m'y adapter,à en faire quelque chose.
Quand le réel rencontre du réel, butte sur lui, je m'en parle d'abord, puis à un interlocuteur s'il s'en trouve un, je l'invente au besoin, je fais appel à l'imagination, à la pensée, pour construire avec ça, à la mémoire encore, à ce que je n'ai pas, plus sous la main pour venir à la rescousse de mes doutes, de mes craintes devant un tel constat. Depuis, depuis que je n'ai plus la peinture. Si, rétrospectivement, je considère qu'elle avait un appétit énorme, elle reste, elle demeure, a toujours été bonne fille. Chaque fois que je me retourne vers elle et la sollicite, jamais nous ne nous quittons sans qu'elle m'ait offert quelque chose.
Qu'est-ce ici, dès lors, qu'une journée idéale? Autrefois, une journée idéale se terminait par une sortie en soirée. Courte ou prolongée, peu importait. Avec ou sans dîner. Voir d'autres gens, parler avec eux, voir ce qu'ils sont en train de faire. Jusqu'à les voir faire semblant était pour moi un facteur, un baromètre de vie. Mais une journée sans sortie du soir restait marquée comme une journée bien morose.
Réussie ou pas, j'ai toujours besoin d'une sortie en soirée pour me sentir vivre, exister. Alors je rends visite à cet atelier et je tente de faire du présent avec du passé. Même si de cet atelier dont il ne sort rien de vraiment neuf, même si je le sens se transformer en bunker. Voire en cimetière. Un atelier d'outre-tombe.
Alors, c'est vrai, le MAMI n'est plus qu'un musée, un musée-cimetière, une urne, un caveau où s'alignent les épitaphes, les ex-voto, bien lisibles, entretenus et propres, râtissés quotidiennement.
Le MAMI n'est pas comme je le déclarais ailleurs un anti-musée. Un anti-musée est un musée vivant. Le MAMI n'est qu'un musée, le MAMI est un mort. Le MAMI est un intermédiaire éthique, vous savez, ces cas non encore tranchés par les commissions d'éthique et le législateur, voués à l'attente d'une mort naturelle ou celle provoquée par une main bientôt sous le coup de la justice.
S'agit-il d'un sursaut, d'un sursis pour le MAMI? Je ne sais pas mettre cela en mots. Une fois de plus, ils me font défaut, les mots je ne sais rien en faire. Je n'ai jamais eu que le geste, mais à quoi bon quand la main est vide? J'ai toujours espéré que des mots puissent sortir de ma main ...
Néanmoins je vous invite à partager une modeste, bien modeste sortie, le MAMI à ses Imparfaits